Le string de la photographe
Une photo amusante lors d’un mariage, l’envie d’écrire une histoire et... le tour est joué! Seulement voilà, les histoires elles se confectionnent comme les cordonnets pour chaussons (voir plus loin dans le texte)… sauf que, si pour les chaussons les fils utilisés sont en laine de la plus douce, bleue ou rose et qu’ils sont tous bien de la même longueur, ceux des histoires sont bariolés, certains noirs, d’autres gris, parfois même mités, ou ne sont plus que de simples effiloches car récupérés au plus profond des mémoires; une fois bien noués et entrelacés, ces brins de vie, cordonnets ombilicaux du nouveau récit, lui donneront un aspect chiné qui n’aura, je m’en excuse, plus rien à voir avec celui, lumineux de magnifiques promesses, de la belle histoire d’amour d’une gazelle aux yeux couleur d’aigue-marine.
LE STRING DE LA PHOTOGRAPHE
21 septembre 2010
Je suis toujours de l’avis de celui qui parle en dernier ou de celui qui parle le plus fort; dans le fond c’est pratique, je n’ai pas trop à me forcer à faire le ménage dans mes pensées; si elles sont trop envahissantes ou gênantes je fais comme pour les miettes du dîner: je les glisse discrètement sous le tapis volant tissé au fil des jours qui passent et... je les oublie.
D’autre part je suis mariée à un gars qui, en guise de point final à nos conversations –chaque fois plus rares et plus courtes– emploie toujours la même phrase:
––Te force pas à m’expliquer, je sais très bien ce que tu penses.
Au début ça m’agaçait un peu, mais je me suis vite rendue à l’évidence: j’avais dû tomber sans le vouloir sur un devin –sans sa boule– mais devin quand même et, ma fois, c’était une sapré chance.
Seulement voilà, ce matin j’ai hâte que mon devin rentre et qu’il me dise ce qu’il pense que je pense du string que je viens de trouver dans la poche d’un de ses costumes (son préféré), juste celui qu’il portait à la noce de ma nièce, samedi dernier et que j’avais décidé de faire dégraisser.
La première chose que je me suis dite en faisant la drôle de découverte, c’est que ces trucs-là ça doit rentrer dans la raie des fesses et faire le même effet que quand, gamine, j’avais des vers et que ma mère me grondait:
––Arrête un peu de te gratter!
Parce que les idées qui nous passent par la tête se déplacent comme le font les puces, en sautant dans tous les sens, je me suis retrouvée, sans le vouloir, au temps des démangeaisons. En réalité, il n’y avait pas que les “arrête de te gratter le derrière!”, il y avait aussi les “n’enlève pas la croûte, ça te laissera des marques!”, “ne mets pas les doigts dans ton nez, tu vas te l’élargir!”, “ fais pas ça avec tes yeux, manquerait plus que tu louches!”, “mange pas tes ongles, tu vas te perforer les intestins!”… le tout accompagné de petites tapes sur les doigts; je ne sais pas si les gamins d’aujourd’hui en ont encore, des vers, des démangeaisons de piqures de puces et autres bestioles et s’ils aiment encore explorer leur cavité nasale ou se retourner les paupières –les choses de gamins ça ne m’interessent plus–, mais je me demande si tout cela n’était pas simplement une façon de nous embêter et de nous faire prendre peur de nos mains et de tout le reste.
Bref, l’histoire du string m’avait tellement retournée que j’en suis même allée jusqu’à le sentir; rien, pas d’odeur et puis j’ai eu un peu honte et j’ai regardé autour de moi comme pour m’assurer que j’étais bien seule à la maison... tu parles!, comme si j’avais besoin de m’en assurer!
Après, je suis allée chercher des ciseaux à la cuisine et j’ai coupé le cordon du string que j’ai ensuite commencé à tordre sur lui même, comme quand je m’étais mise à faire des chaussons pour le bébé que j’attendais et que j’en confectionnais les cordonnets. Je prenais un fil de laine rose de quatre mètres environ –rose, parce que j’avais des nausées tous les matins, comme ma mère pour moi– et je le pliais en deux; ensuite mon mari prenait une extremité du fil et moi l’autre et, face à face, nous commencions à tordre la laine, lui dans un sens et moi dans l’autre… oui, parce qu’à cette époque-là mon mari arrivait plus tôt, voulait bien m’aider et on savait encore dans quel sens on tournait tous les deux, mais quand le bébé est… et que… bon, mais j’ai arrêté de repenser à tout ça et j’ai tout glissé sous le tapis. Il n’avait plus l’air de rien le beau string en dentelle, il n’aurait même pas pu servir de bandeau de pirate pour le carnaval, j’en avais fait une minable ficelle que j’ai mise dans ma poche.
Puis j’ai repensé à deux photos bien précises des albums de mariage de ma nièce; elle était passée me les montrer elle-même, juste un peu avant que je fasse ma grande découverte; ça faisait déjà deux heures qu’on feuillettait ces gros annuaires et on en était toujours à l’église au moment des signatures!
––On aurait pas dû toutes les faire refaire, mais c’est tellement difficile de choisir les mieux, –m’expliqua-t-elle en me voyant tiquer sur la grosseur des albums. Heureusement qu’elle, elle n’est pas comme mon mari et ne devine rien, car elle aurait bien vu que je me demandais si la difficulté ne venait pas du fait qu’elles étaient presque toutes pareilles; mais, c’est vrai aussi, qu’elles étaient toutes très belles ces photos!... Pas étonnant, ma nièce est une gazelle aux yeux couleur d’aigue-marine.
Pour en revenir aux deux potos qui attirèrent mon attention, elles avaient été prises par l’oncle Gustave. La première, il l’avait faite à l’église, au moment des signatures. Est-ce la main tremblante du vieux tonton ou son esprit coquin qui l’avait fait zoomer sur le string de la jeune photographe officielle, –agenouillée pour mieux capter le sourire des jeunes mariés en train de signer–, au lieu d’immortaliser l’essentiel du moment? Personne ne le saura jamais, mais ce que si, j’allais savoir quelques cinq cent photos plus tard, c’est qu’au beau milieu de la fête, quand la jolie photographe avait de nouveau mis un genou à terre pour prendre la pièce montée dans toute sa hauteur, l’oncle Gaston avait profité de l’occasion pour rezoumer sur la vertigineuse cambrure, juste sur la ligne un peu floue qui sépare le dos du début du derrière et là, gros mystère… plus de string!
La ficelle à la main maintenant, j’attends mon voyant qui arrive enfin, reconnaît de suite le string dans sa version cordon minable et me dit:
––Allez-va, c’est pas si terrible que ce que tu penses!
Mais cette fois, il est gêné et n’ajoute rien; c’est à moi alors d’insister pour qu’il me dise ce qu’il pense que je pense.
––Que je suis un salaud et que j’ai tiré un coup avec la photographe pendant le trou normand –et reprenant de suite son sang froid– pas la peine d’en faire un drame, je vais te dire ce que tu vas faire…
Mais là, moi, je lui dis d’arrêter, que je veux bien qu’il me dise ce que je pense mais que ça suffit comme ça, que ce que je vais faire, ça me regarde et qu’avec, ou sans sa permission, je vais aller me coucher; le ton de ma voix l’étonne, il n’ajoute pas de point final et c’est avec un regard en point d’interrogation qu’il allume la télé et se vautre sur le divan.
Une fois dans la chambre, je mets mon pyjama, me lave les dents, me souris gentiment dans la glace et retourne au salon, tout doucement, sans faire de bruit; mon voyant, mon devin est presque déjà endormi; à la télé, des gens sûrement intelligents se disputent la parole pour nous dire ce qu’ils pensent d’un tas de choses; je me faufile derrière mon salaud de mari qui lui, ne devinera plus jamais rien, je lui passe le string-ficelle autour du cou, –minable cordonnet, oui, mais le premier qui va enfin se refermer sur quelque chose– et je l’étrangle.
22 septembre 2010
Mon avocat m’a dit de ne pas ouvrir la bouche, qu’il répondra lui-même à toutes les questions que me posera l’inspecteur… c’est marrant, lui aussi doit être devin!?
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jf -